Face au coût économique de la nouvelle pandémie de coronavirus l'Union européenne, l'Eurogroupe et les États membres ont présenté plusieurs propositions (Méchanisme de Stabilité Européen (ESM) ; Plan de la Banque Européenne d’Investissement, SURE, Marshall Plan, Eurobonds ou Coronabonds). Une des options controversées est l’émission d’eurobonds ou « coronabonds ».

Laurent Baechler, Arnaud Leconte et Jean-Claude Vérez, , économistes et Directeurs de programme au CIFE, examinent cette option sur la table des discussions entre chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE.

  Qu'est-ce qu'un eurobond ou un coronabond (ou recovery bond) et que sait-on du principe de la mutualisation des dettes ?

Un eurobond est une obligation émise par la Banque centrale européenne. La BCE en proposant des obligations, soit des titres de dette auxquels peuvent souscrire des investisseurs publics ou privés (comme les compagnies d'assurance, les banques ou encore les fonds d'investissement) permet aux pays européens de la zone euro de financer leur déficit. Ces titres sont libellés en euros. Au lieu d’une garantie nationale qui caractérise une obligation nationale, les eurobonds bénéficient de la garantie européenne. Il s'agit d'emprunts émis en commun par les pays de la zone euro sur les marchés internationaux.

Un coronabond aurait les mêmes caractéristiques et aurait pour objectif de financer les dépenses dues aux conséquences macroéconomiques du coronavirus. Précisons qu’il s’agirait de financer ces seules dépenses et non des dépenses publiques nationales de toute autre nature.

La mutualisation des dettes consiste à opter pour un financement commun des dettes publiques. Il ne s’agit pas pour un pays de la zone euro de rembourser la dette contractée par un autre pays. Seule, la faillite d’un pays membre de la zone obligerait les autres pays à se substituer à cette défaillance et ce cas pourrait arriver sans avoir mutualisé les dettes.
 

Quels sont les atouts ou avantages du recours aux eurobonds ?

Les atouts dépendent de la classe d’actifs de ces eurobonds ou coronabonds, de leurs termes, de leurs conditions et de leurs souscripteurs. En terme de classe d’actifs, la question est de savoir s’ils sont rattachés à des obligations vertes ou sociales liés à des objectifs d’investissement de long terme de l’UE, seulement esquissés dans le Green Deal (obligations vertes destinées à la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité, obligations sociales pour des activés liées au changement démographique tel le financement de la grande dépendance voire demain à la prévention et à la lutte contre les prochaines épidémies.

Concernant les termes et conditions, un élément important est que ces eurobonds soient émis, non pas comme une solution permanente, mais ponctuelle dans le cas d’une crise systémique. Un second point important concerne les souscripteurs : ceux issus du secteur privé et internationaux voudront une modélisation de risques à buts lucratifs plutôt que de protéger les personnes victimes d'une pandémie. Or, en période de crise, on observe un ralentissement de l'ensemble du marché obligataire et une concentration sur la liquidité à court terme. De fait, privilégier les souscripteurs institutionnels (fonds de pension, compagnie d’assurance) et les épargnants européens permettrait de limiter les risques de perte de souveraineté et de fuite de capitaux en cas de nouvelle crise européenne majeure.

En somme, les atouts des « eurobonds » sont d’assurer des financements du bien commun à moindre risque et à moindre coût et d’accompagner l’effort mutuel des européens sur le long terme dans une situation de crise systémique. Ils donnent un signal fort de stabilité financière et reprennent l’idée d’un avenir commun et solidaire dans une Europe qui construit l’avenir.
 

Quels sont les risques liés aux eurobonds ?

Le risque associé aux eurobonds, tout du moins pour ceux qui les perçoivent comme risqués, est celui du « risque moral », un terme que les économistes utilisent pour désigner une situation dans laquelle un acteur, bénéficiant d’une forme de protection contre un risque, a tendance à moins se protéger. Dans le cas présent, cette hypothèse concernerait les pays dits dispendieux, confrontés à des niveaux de déficit et dette publique élevés, principalement au sud de la zone euro. Ce risque est sensé être augmenté par le fait que les États les plus endettés pourraient emprunter à des taux plus faibles, ne correspondant plus au niveau de risque financier qu’ils représentent pour leurs créditeurs.

Dans le cas des coronabonds, ces risques pourraient être grandement limités par deux éléments :
1/ Une restriction des capacités de financement à des dépenses en lien direct avec les impacts de la crise sanitaire. Le périmètre de restriction serait évidemment une composition cruciale des discussions entre pays concernés.
2/ Un mécanisme de contrôle des dépenses impliquées qui permettrait d’éviter les « fuites » et de rassurer les pays réfractaires au principe de mutualisation des dettes.

Un dernier point crucial doit être ajouté. La crise sanitaire actuelle est due à un choc exogène s’apparentant à une catastrophe naturelle dont personne n’est particulièrement responsable, contrairement aux chocs endogènes des crises financières et économiques (qui trouvent en général leur origine dans des mouvements de spéculation boursière ou immobilière). Les dépenses publiques qui vont en résulter ne sont pas non plus le fruit d’un dérapage incontrôlé des finances publiques de la part de gouvernements dispendieux. Cela non seulement plaide en faveur d’une solidarité européenne pour réaliser l’effort collectif nécessaire pour sortir de cette situation, mais signifie également que la dimension « risque moral » est très atténuée (voire absente) dans la situation présente : il ne peut (par définition) y avoir d’incitation à laisser se reproduire un risque de nature exogène.

 

Laurent Baechler a étudié les relations internationales et l’économie à Paris. Il a enseigné à l’université de Marmara à Istanbul et au Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris dans les années 1990, avant de rejoindre Sciences-Po Paris en 2003. Il collabore avec le CIFE depuis 2005. Depuis 2013 il est Directeur du "Master in Advanced European and International Studies - European integration and Global Studies"  et Rédacteur-en-chef de la revue "L'Europe en formation".

 

Arnaud Leconte est Directeur de deux programmes, le "Joint Master in global economic governance and public affairs" et le "Joint Master in EU Trade and Climate Diplomacy", organisés en coopération avec la LUISS School of Government. Il est Docteur en économie. Chercheur en sciences économiques, diplômé du Collège d’Europe de Bruges et de l’université de Saint-Gall.
Arnaud Leconte oriente ses recherches sur les politiques économiques de collaboration entre l’Union européenne et les pays de la Méditerranée pour parvenir à un développement durable.

 

Jean-Claude Vérez est économiste, maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université d’Artois et chercheur au Laboratoire d'économie appliquée au développement (LEAD, Université du Sud Toulon-Var).
Il enseigne au CIFE depuis 2005 et dirige le Diplôme en études méditerranéennes depuis 2018. Son dernier ouvrage "L'économie mondiale au XXIe siècle" vient d'être publié aux Editions Ellipses en 2020.

 

 

 

 

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