Travailler dans le domaine de la coopération internationale


« Pour travailler dans le domaine de la coopération internationale, il faut savoir prendre de la hauteur et adopter une vision large et panoptique. »

Entretien avec Florent Stora, conseiller diplomatique à la Représentation permanente de la France auprès de l’OCDE,​ sur l’importance du multilatéralisme ainsi que les opportunités et défis d’un développement durable commun. A l'occasion de son cours pour les étudiants du Joint Master in Global Economic Governance & Public Affairs à Nice.

 

Florent Stora
Ancien élève de l’ENA, docteur d’Etat en science politique, i
l est depuis 2018 conseiller diplomatique à la Représentation permanente de la France auprès de l’OCDE et a, dans ce cadre, participé notamment à la présidence française du G7 en 2019.*
 


 

Au CIFE vous donnez un cours sur « le multilatéralisme informel du G7 et du G20 pour le développement durable ». Quels sont les grands objectifs de votre séminaire ? 
Dans ce cours, nous échangeons des idées sur une problématique très actuelle des relations internationales : le multilatéralisme et sa déclinaison dans les G7 et G20. Je veux leur transmettre des connaissances sur la gouvernance globale ainsi qu’une vision pragmatique et opérationnelle de ce qui se joue pendant ces réunions. Ensemble, nous analysons comment fonctionnent les G7 et G20, comment s’élaborent les agendas et se déroulent les négociations. Nous mettons l’accent également sur les grandes problématiques actuelles dans ces instances multilatérales, notamment le changement climatique et la biodiversité, le développement durable, la numérisation de l’économie et les défis de l’adoption d’une fiscalité internationale. C’est donc un séminaire à la fois théorique, pratique et à visée professionnelle.  

Dans quelle mesure votre séminaire est-il relié à votre carrière en tant que diplomate à l’OCDE ? 
Dans les dernières années, j’ai pu participer à plusieurs réunions clés pour la coopération internationale. Par exemple, j’étais dans la cellule opérationnelle de la présidence française du Conseil de l’UE en 2008. Ensuite, j’ai participé à l’organisation de la Conférence des Parties (COP 21) en 2015. J’y avais notamment des missions logistiques, j’ai dû trouver des sponsors, nouer des liens avec les organisations non gouvernementales associées, et sensibiliser la société civile, notamment la jeunesse et les étudiants, à cet événement majeur pour la diplomatie multilatérale. Puis, en 2019, j’ai participé activement à l’organisation et à l’exercice de la présidence française du G7. J’ai donc une approche concrète et pratique de ces questions. J’ai une expérience tangible sur l’art de la négociation avec des acteurs multiples, sur la préparation des réunions, sur les amendements apportés aux textes en discussion, sur la recherche de coalitions pour faire prévaloir des positions et sur la façon de trouver des compromis pour favoriser les prises de décision. Et il me semble particulièrement intéressant de transmettre cette expérience, ces compétences et ce regard d’un acteur de la diplomatie multilatérale aux étudiants pour leur future carrière.

Quelle question a particulièrement intéressée les étudiants ? 
Ils étaient très préoccupés par les impacts de la pandémie sur la gouvernance internationale. On a trouvé des réponses assez diverses sur cette question car il y a des effets positifs et négatifs. D’un côté, la pandémie a été un accélérateur des tendances qui existaient déjà avant, par exemple le développement du numérique avec le télétravail. Pendant la crise, on a remarqué qu’on pouvait beaucoup économiser grâce à la transition énergétique. Dans mon entourage, on a même parlé de la « zoom-diplomatie » puisque tant de réunions et conférences politiques internationales se sont déroulées sur zoom ! De l’autre côté, il y a eu un bouleversement des tendances et une remise en cause de quelques développements récents. Cela apparaît clairement lorsque l'on observe les nombreuses entreprises qui souhaitent produire davantage localement. Il apparaît manifeste que les tendances de fond ainsi que les récentes circonstances imprévues doivent nous conduire à repenser notre gouvernance mondiale tant dans son organisation que dans ses principes et ses paradigmes dominants. 

Comment une gouvernance multilatérale dans le cadre des G7/G20 peut-elle mener à un modèle politique et économique durable ?
La gouvernance multilatérale permet de partager des diagnostics communs et donc d’apporter des réponses globales et collectives à des problèmes qui touchent tous les Etats. Afin d’établir une politique et une économie plus durable, les nations qui participent aux G7 et aux G20 entendent partager leurs expériences dans ce domaine. Elles cherchent à trouver des compromis et à faire converger leurs efforts afin de devenir plus performants dans la mise en œuvre de leurs politiques. Ce type de gouvernance implique plusieurs acteurs : des entreprises, des ONG, des experts, des think tanks, des Etats, et des organisations internationales. Tous ces acteurs doivent coopérer, apprendre les uns des autres, converger vers des buts communs. Et il faut toujours des indicateurs, des faits, des données chiffrées fiables et élaborées sur des critères partagés qui permettent de vérifier si ces efforts et initiatives convergentes sont bien mis en œuvre et réalisés avec efficacité. 

Cela ne semble pas facile de coordonner tous ces différents acteurs et intérêts. 
Oui, tout à fait. On a pu constater ces dernières années une fragilisation si ce n’est une certaine contestation de la diplomatie multilatérale avec de plus grandes difficultés pour les Etats de s’accorder sur des objectifs communs. En 2021 cependant, les Etats ont tout de même ressenti le besoin de coopérer et de forger des consensus pour lutter contre la pandémie et pour agir contre le dérèglement climatique. Pour faire avancer ensemble tous ces acteurs, y compris les acteurs non étatiques, il y a différentes instances qui travaillent chacun dans un secteur particulier comme le Business 7 ou Business 20, qui rassemblent les principales fédérations d’entreprises des pays du G7 et du G20 ou encore des associations de la jeunesse dans le Y7 ou le Y20.

Pour ce qui concerne les entreprises, ces acteurs formulent des buts communs sur les thématiques globales du point de vue de l’économie. Un exemple, le Fashion Pact adopté en 2019 sous la présidence française du G7  est une coalition mondiale d’entreprises de la mode et du textile (prêt-à-porter, sport, lifestyle et luxe) ainsi que de fournisseurs et distributeurs, engagés autour d’un tronc commun de grands objectifs environnementaux centrés sur trois thématiques : l’enrayement du réchauffement climatique, la restauration de la biodiversité et la protection des océans.
Je veux également citer ici l’initiative « Business for inclusive growth » qui regroupe des grandes entreprises internationales qui s’engagent à intensifier leur action pour faire progresser les droits humains dans leurs chaînes de valeur, à mettre en place des environnements de travail inclusifs et à renforcer l’inclusion dans leurs écosystèmes internes et externes. Cette initiative vient prolonger et compléter les efforts déployés par les pays du G7 pour promouvoir l’égalité des chances, remédier aux disparités régionales et lutter contre les discriminations. C’est en effet tout l’intérêt de ces instances multilatérales que sont le G7 et le G20 de travailler de manière flexible et informelle en regroupant les différents acteurs pour faire émerger des intérêts communs.

Comment voyez-vous l’avenir de la coopération internationale ? Y-aura-t-il une démondialisation ou davantage de multilatéralisme ?
Les relations internationales sont travaillées par trois tendances de fond qui coexistent souvent : la coopération, la compétition et parfois la confrontation. Le multilatéralisme vise à organiser et à structurer la coopération internationale afin d’éviter une trop grande conflictualité et une dérive vers la confrontation. En même temps, il vise à favoriser l’émergence de solutions globales à des défis jugés comme dépassant le cadre strict des frontières nationales et donc à faire émerger des biens communs comme la santé, l’éducation, le développement, la préservation de la planète. 

Aujourd’hui, il est possible de constater un double mouvement et d’anticiper des évolutions dans des sens divergents. La coopération internationale s’est développée autour des enjeux de régulation de l’économie numérique, de la recherche notamment en matière de santé et de vaccins, ou encore des défis de la transition écologique. Cette tendance ne faiblira pas à mon sens tant ces sujets exigent une mutualisation des efforts des Etats et de l’ensemble des acteurs de la communauté internationale. Parallèlement, la récente crise sanitaire et l’affirmation de la logique de puissance a remis au centre des débats la question de la souveraineté, économique, technologique, ou militaire.
Dès lors, les questions de ré-industrialisation, de rétrécissement des chaines de valeurs, de protection des secteurs stratégiques des Etats amèneront à brève échéance à repenser la mondialisation où à tout le moins à en corriger ses effets. Mais, pour ma part, il me semble que si la compétition entre puissances se manifeste avec une plus grande acuité, notamment sur le plan économique et technologique, elle ne vient pas cependant effacer le fait que nos sociétés sont de plus en plus complexes et interdépendantes. La rivalité entre Etats n’empêchera pas ceux-ci de chercher à trouver des compromis ou à forger des consensus sur des thèmes qui nécessitent la coopération, l’échange et l’entraide. Car l’objectif du multilatéralisme conserve toujours autant de pertinence en souhaitant promouvoir une mondialisation régulée, plus juste, plus durable et plus inclusive.

Et quel poids le développement durable aura-t-il dans la coopération internationale future ?
Le développement durable a déjà pris et prendra encore dans les prochaines années un poids de plus en plus important. Le concept de développement durable irrigue l’ensemble des grands sujets internationaux, comme la santé et la lutte contre les pandémies, l’éducation et l’accès de l’ensemble des populations à la connaissance et à la formation, le changement climatique et la protection de la biodiversité ou encore la renégociation des règles du commerce mondial dans le contexte de l’économie numérique ou la lutte contre l’érosion des bases fiscales. A ce titre, il répond aux objectifs fixés par l’ONU de promouvoir la paix, la prospérité et le développement dans le monde. 

L’ensemble des grandes organisations internationales, universelles comme l’ONU, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation internationale du travail (OIT), ou régionales comme l’OCDE ou l’UE ont repris à leur compte ce concept. Elles cherchent à lui donner une réalité tangible en promouvant des politiques qui stimulent une croissance forte, inclusive et durable. Ces politiques  visent à dépasser  les seules préoccupations de rentabilité et de productivité et à mieux prendre en compte le bien être des individus et la préservation de la nature. Au-delà de la rivalité, de la compétition, et la lutte pour la puissance, émerge aussi concomitamment, progressivement, une prise de conscience d’enjeux planétaires qui invitent à la solidarité et à la coopération.

Dans la coopération internationale et la gouvernance durable, ils existent donc de nombreuses opportunités, mais aussi de nombreux défis. Dans quelle mesure la formation GEGPA prépare-t-elle les étudiants à cela ?
La formation GEGPA est très complète et complémentaire en même temps. Les étudiants sont bien sensibilisés aux questions actuelles, ils ont beaucoup de connaissances de fond. Pour travailler dans le domaine de la coopération internationale, on a besoin de plusieurs compétences, et non d’une seule. Et c’est exactement ce que cette formation transmet : elle permet aux étudiants de devenir des analystes politiques et des économistes, ils peuvent travailler dans la finance durable et la statistique. C’est une formation interdisciplinaire avec un savant mélange entre théorie et pratique. Et c’est cela qui est de plus en plus important dans le monde de travail : une vision large et panoptique, des compétences techniques dans plusieurs domaines assorties de compétences comportementales et de savoir-être comme l’esprit d’initiative, l’esprit critique et la curiosité, l’adaptabilité, la flexibilité, le travail en équipe, des compétences orales et rédactionnelles ainsi qu’une capacité de synthèse.


* Florent Stora
Ancien élève de l’ENA, docteur d’Etat en science politique, il est l’auteur d’une thèse sur « les processus de transition démocratique ». D’abord enseignant-chercheur en science politique, il a ensuite exercé des fonctions dans les domaines de la diplomatie culturelle et éducative. Il a été responsable du service Europe du Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche de 2003 à 2006. Il a été conseiller à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne sur les sujets culture et éducation entre 2006 et 2010, notamment pendant la présidence française de l’UE en 2008, et conseiller diplomatique du ministre de la culture sous la présidence de Nicolas Sarkozy entre 2010 et 2012. Il a été conseiller pour la société civile au sein du secrétariat général chargé de préparer et d’organiser la conférence sur le changement climatique (cop21) à Paris / Le Bourget en novembre 2015. Il est depuis 2018 conseiller diplomatique à la Représentation permanente de la France auprès de l’OCDE et a, dans ce cadre, participé notamment à la présidence française du G7 en 2019. Il est aujourd’hui chargé du suivi de nombreux sujets sociaux, éducatifs, numériques et politiques  de la gouvernance mondiale et  est également  associé à la préparation puis à l’exercice de la  prochaine  présidence française du conseil de l’UE au premier semestre 2022. Il est par ailleurs professeur à l’HEIP et au CIFE sur les questions européennes et internationales.

 

 

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