Deux anniversaires : la motivation et la méthode

Il y a 45 ans, le Président de la République française Valéry Giscard d’Estaing avait voulu abolir la commémoration du 8 mai 1945, jour de la capitulation inconditionnelle de l’Allemagne pendant la Seconde Guerre Mondiale. Dans une lettre adressée au Chancelier allemand Helmut Schmidt, il écrivait : « Le temps est venu d’ouvrir la voie vers l’avenir et de tourner ensemble notre mémoire vers ce qui nous rapproche et nous unit. » Selon lui, les états membres de la Communauté Européenne devaient convenir de commémorer ensemble la « fondation de l’Europe » en célébrant le 9 mai 1950, jour de la Déclaration Schuman comme premier pas vers l’unification de l’Europe. Il s’est avéré très rapidement que Giscard avait fait un geste stratégiquement malencontreux en essayant d’abolir la commémoration du 8 mai. L’opinion publique française réagit très négativement et accusa le Président de vouloir mettre fin à l’examen critique du rôle de la France pendant la Seconde Guerre Mondiale. De plus, ses partenaires allemands semblaient embarrassés par l’initiative de Giscard, qui se voulait un geste de réconciliation avec l’ancien ennemi. En République fédérale de l’Allemagne, une réévaluation du 8 mai avait commencé, qui n’était plus considéré comme un jour de défaite, mais comme un jour de libération d’un régime dictatorial et inhumain. Ainsi, la commémoration du jour de la capitulation inconditionnelle du régime nazi n’était plus un rituel de division, mais plutôt un acte d’unification des pays européens.

Quatre décennies plus tard, les états membres de l’Union Européenne ont toujours besoin des deux anniversaires, les 8 et 9 mai. Le premier anniversaire nous rappelle la raison profonde et la motivation incessante de la construction européenne : Dès le départ, elle devait empêcher les états européens de se retourner les uns contre les autres, d’anéantir leur héritage commun et de revenir à un nationalisme violent comme unique inspiration politique. Tout ce qui a été créé depuis, du marché unique aux élargissements successifs et jusqu’à l’Euro, a servi cet objectif global. Aujourd’hui, lorsque l’UE est à nouveau menacée par des tendances centrifuges, nous ne devons pas oublier pourquoi nous avons opté pour ce projet de solidarité européenne sans précédent. Le 8 mai devrait également rappeler à l’Allemagne que sa réussite d’après-guerre, sa réintégration politique et son bien-être économique après 1945, mais aussi son unification pacifique en 1990 étaient largement rendus possible par la générosité sans faille de ses anciens ennemis.

Le 9 mai devrait rappeler à tous les états membres de l’UE d’où nous venons : la construction européenne n’a pas commencé par un « big bang » ou un regain d’enthousiasme des peuples européens. Elle a commencé comme une aventure très limitée, pratique et extrêmement technique, animée par la passion politique ardue d’un homme dont l’importance pour l’histoire européenne est encore largement sous-estimée : Jean Monnet. Il n’était ni un leader charismatique ni un théoricien politique de haut vol, mais un praticien de la coopération internationale avec la conviction claire que la souveraineté nationale était un concept obsolète. Il n’était pas non plus un orateur captivant, mais un médiateur formidable qui savait que les états européens étaient tous trop petits pour compter seuls dans un monde dominé par des puissances non-européennes. Ainsi, le 9 mai, nous commémorons la naissance d’une méthode : Faire progresser la construction européenne par des étapes limitées, justifiables et répondants aux défis spécifiques de l’époque. 70 ans d’intégration européenne ont démontré la pertinence de la méthode Monnet. D’une part, il y a rarement, voire jamais, eu un grand saut en avant. D’autre part, le processus a rarement souffert de l’immobilisme et de l’inertie. Si la finalité de l’intégration européenne est une fédération, elle ne peut être atteinte qu’en appliquant la méthode pas-à-pas de Monnet et en érodant patiemment la souveraineté des états membres. Les 8 et 9 mai – deux anniversaires marquants dans notre culture européenne commune de mémoire : le premier nous rappelle notre motivation à nous unifier, le deuxième la méthode que nous devons appliquer. 

 

Matthias Waechter, Directeur général du CIFE

La version originale de cet article est en anglais.

Matthias Waechter a récemment publié une Histoire de la France au 20e siècle, Geschichte Frankreichs im 20. Jahrhundert, Munich 2019 et est l'auteur de Helmut Schmidt und Valéry Giscard d'Estaing. Auf der Suche nach Stabilität in der Krise der 70er Jahre, Bremen 2011.

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